Après les 40 heures de Continental
Il est de bon ton, pour une droite certaine, de fustiger les 35 heures et de les rendre responsables de toutes les calamités de notre économie. C’est commode : cela permet d’éluder ses propres responsabilités. Il me semble que le procès n’est pas équitable et qu’un peu d’objectivité, à ce propos, n’entamerait aucunement la probité intellectuelle.
C’est vrai, la mise en place des 35 heures
- a manqué de souplesse et n’a pas suffisamment tenu compte d’un certain nombre de paramètres aussi bien économiques qu’humains ;
- pose des problèmes d’application notamment dans les petites et moyennes entreprises ;
- est un casse-tête pour le secteur hospitalier.
Il est indéniable, par ailleurs, que le gouvernement Jospin lui-même n’a pas joué pleinement le jeu de l’esprit de cette réforme, en particulier dans la fonction publique où la mesure n’a jamais été présentée comme devant créer des emplois : cela avait au moins le mérite de la franchise.
Pour autant, si la réduction du temps de travail a été aussi nocive que l’on veut nous le faire croire, comment explique-t-on qu’elle a créé 350 000 emplois entre 1998 et 2002 (source INSEE) sans détruire
- la compétitivité des échanges, qui est jugée « satisfaisante » par le Conseil d’Analyse Économique (la balance desdits échanges n’ayant pas fléchi à ce moment-là mais après 2002, sans, au demeurant, que Christine Lagarde alors en charge du commerce extérieur s’en préoccupât beaucoup) ?
- la compétitivité structurelle, « fragilisée », selon cette même source, par l’« insuffisance de la recherche et développement » (et donc pas par les 35 heures) ?
- l’investissement étranger en France qui est dans ce domaine au deuxième rang mondial (source Eurostat) ?
Comment se fait-il, enfin, que la France (35h9) soit en nombre d’heures travaillées classée dans l’UE (source Eurostat) devant l’Angleterre (35h7) et l’Allemagne (35h8) ? Faut-il donc tant que cela réhabiliter le travail en France ?
On ne peut par conséquent que considérer que les 35 heures sont instrumentalisées, c’est-à-dire coulées dans une rhétorique immuable et univoque. Une forme de « pensée unique » en quelque sorte ! Avec les effets pervers inéluctables d’une pensée tronquée, comme on l’a vu dans le cas du vote Continental. Non, « les salariés ne se sont (pas) exprimés démocratiquement », ou alors les pressions sous forme de chantage à l’emploi sont démocratiques. Non, « l’idée d’un partage du travail » ne peut pas « sembler noble », elle EST noble : si tel n’avait pas été le cas les salariés de Continental n’auraient pas tenu compte des menaces sur l’intérim proférées par la direction.
Au surplus, la remise en cause sans nuances des 35 heures nous paraît receler une erreur d’analyse socio-économique. Toutes les études de la sociologie du travail montrent que plus les travailleurs se sentent bien dans l’entreprise, plus ils bénéficient de bonnes conditions de travail et de repos, meilleure est leur compétitivité. A l’inverse, l’insécurité de l’emploi, la flexibilité du travailleur diminuent sa motivation, et donc son engagement personnel dans l’entreprise. Pire, sous prétexte de mondialisation et parce que l’on s’économise une réflexion, l’on est en train de revenir très en arrière sur la qualité des conditions de travail. Le taylorisme (ou fordisme), le stakhanovisme, mal payés de surcroît, étaient une forme d’esclavagisme. Mai 68, entre autres, passant par là, la société tout entière avait fini, peu à peu, par imposer une approche plus responsable de la place du travailleur dans l’entreprise. Eh bien le travailleur, instrument de production, jetable à merci, chômeur en puissance et toujours mal payé, est à nouveau traité comme objet.
N’en déplaise à cette droite « sûre d’elle et dominatrice » comme aurait dit quelqu’un, les 35 heures ont été, avec toutes leurs imperfections, la dernière fois que le politique a marqué un vrai respect pour le travailleur et au-delà, peut-être, pour l’homme.
René Basset