(http://www.chretiente.info/201003010213/le-courrier-picard-caricature-jesus-christ/)
Bien des choses intéressantes ont été écrites après les émeutes qui ont suivi la mise en ligne du film islamophobe et, autant que l’on puisse en juger très bête, Innocence of muslims, ainsi qu’après la publication des caricatures de Charlie Hebdo. Il ne s’agit donc pas ici de répéter ce que d’autres, bien plus compétents, ont pu dire, et encore moins de proposer une explication ou une solution à un problème qui ne se résoudra qu’avec le temps et, probablement, après que de nombreuses larmes de sang auront encore coulé. Je me bornerai à évoquer quelques idées que je n’ai pas retrouvées dans ce que j’ai parcouru, qui me semblent devoir être soulignées car elles apportent un – modeste ̶ élément de compréhension au débat.
La première chose qui me vient à l’esprit, chaque fois que l’on parle de fondamentalisme, c’est que, d’une manière générale, les intégrismes manquent singulièrement d’humour, d’humour sur eux-mêmes, d’humour sur les autres. Sans cet humour, pas d’équilibre personnel, donc collectif, possible ; pas d’humilité non plus. « La France est un pays laïque. On rit de tout, même de la religion » dit Tahar Ben Jelloun. Et c’est heureux, nécessaire même : c’est une façon de surmonter les guerres de religion passées, d’exorciser celles – possibles ̶ à venir. La loi de 1905 est certainement une des plus belles réussites de notre esprit. Les intégristes, eux, ne rient pas. Pourtant, il ne faut pas prendre trop au sérieux les choses sérieuses, en particulier les religions qui ont fait, et font encore, trop de mal. Ce qui, bien entendu, ne doit pas empêcher chacun de croire ce qu’il veut, de prier qui il veut, et d’être libre de le faire, en toute quiétude. Mais sans empiéter sur la liberté d’autrui. Si la minorité fondamentaliste islamiste avait été capable de cette distanciation, elle aurait compris, signe d’intelligence, que l’Innocence des musulmans ne valait pas une telle publicité.
Simultanément, c’était bien le moins, l’intangibilité du principe de liberté d’expression a été fortement réaffirmé, non seulement pour notre France laïque, mais également pour l’ensemble du monde occidental où il fait l’objet d’un consensus quasi-unanime. Certains en ont même fait un absolu. Or il faut se méfier de tout ce qui est intangible et absolu. Ce n’est pas que de la dialectique. Souvenons-nous à cet égard de la formule choc, et en apparence inattaquable, de Saint Just, « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », et aux conséquences desquelles elle participa : peu après c’était la Terreur. Vaste problème donc car, en l’occurrence, qu’on le veuille ou non, caricaturer c’est désigner, je veux dire montrer du doigt, d’autant qu’un caricature est toujours, par définition, grossissement du trait, expression péjorative ou déformée, parfois démesurée, de la perception d’autrui, ou de son idée, de l’image qu’il nous envoie – ou renvoie. La définition même de la caricature montre par conséquent que son utilisation n’est pas sans risque d’incompréhension. Elle est un art difficile, surtout si l’on s’adresse à d’autres cultures, à d’autres perceptions, ou à des gens qui sont totalement dépourvus d’humour. Les microcosmes intégristes ne sont évidemment pas prêts, ni disposés à faire l’effort d’accepter et comprendre pareille approche critique, pas plus qu’ils ne sont disposés à accepter et comprendre que dans un pays de liberté d’expression, l’on puisse malgré tout s’exprimer !
Ce qui introduit ma dernière observation sur le sujet, peut-être la plus importante. La parole est toujours l’expression d’une pensée, quelles qu’en soient la forme et le niveau d’élaboration. Il en résulte que l’attaque contre la liberté d’expression dissimule toujours une attaque contre la liberté de pensée. L’inaccessible ambition, nécessairement liée à tous les intégrismes parce qu’ils rêvent de la réunion du Tout dans l’Un absolu, est d’unifier toute pensée en leur dieu. Comme ils ne le peuvent, ils concentrent leur lutte contre la partie visible de la pensée, l’expression. C’est une des raisons pour lesquelles, là où le gouvernement des hommes se réclame de dieu, il n’y a pas de démocratie, ce qu’au demeurant les dictatures modernes du monde occidental avaient bien compris, qui s’appuyaient toutes sur les religions indigènes, depuis Franco jusqu’à Pinochet. Ce qui est gênant, l’euphémisme est volontaire, c’est que, outre que les intégristes sont des minoritaires, ils sont aussi un produit dérivé, c’est-à-dire une excroissance inhérente, quoique non nécessaire, au monothéisme, et qu’ils sont en conséquence parfaitement inauthentiques : ils trahissent l’esprit de leur religion, mais souvent même la lettre. Au surplus, comme l’on ne refait pas la nature humaine et si, comme cela se dit du Mali, l’on a affaire à d’anciens bandits de grand chemin qui ont trouvé dans l’islam une justification extérieure pour continuer en toute impunité à semer leur non-loi, l’on se retrouve confronté à des pseudo-djihadistes qui ne sont finalement rien d’autre que des voyous recyclés. Au bout du compte, les intégristes ne font qu’offrir une caricature de leur religion.