La manifestation de dimanche dernier contre le projet de loi relatif au mariage homosexuel fut un moment de haine. Que ce soit verbalement ou physiquement, Civitas, ce catholicisme en brodequins, avait lâché ses primates – mines patibulaires et cerveaux étroits. Ce n’est pas à un débat que l’on assiste actuellement, Mme la ministre, c’est à un déversement, encouragé par le pape, fort peu benoît en l’occurrence. Ceux qui demandent à cor et à cri une discussion soit disant démocratique sur le sujet feraient bien, s’ils en sont capables, d’y réfléchir. Car on ne doit pas s’y tromper : parce qu’elles procèdent de la même philosophie, la voie qui mène de l’opposition « douce », en réalité doucereuse, à l’opposition violente est nécessaire. Et ces deux oppositions, aussi irréductibles et fermées aux arguments l’une que l’autre, possèdent le même fondement de rejet et de violence.
Toute culture est un acquit : elle dispose d’une antériorité car elle ne naît pas de rien. Cette antériorité est une somme : elle ne peut être univoque. À partir de là, deux formes de culture peuvent se développer. La première est une culture de la compréhension : attentive à son antériorité et consciente de sa multiplicité, elle manifeste une compréhension des évolutions historiques et, par voie de conséquence, une volonté, et une capacité, de compréhension d’autrui. La seconde, par antithèse, est une culture du déni : quelles qu’en soient les raisons, elle incorpore mal les évolutions historiques, ou ce qui échappe à son emprise, et se mure dans le déni de ce qui ̶ et de qui ̶ ne pense pas comme elle. Ceux qui aujourd’hui encore, par exemple, vantent le colonialisme entrent dans cette catégorie. Le déni contient en lui-même à la fois rejet et violence. Cette culture est figée : amplement soumise au moment de l’élaboration de ses fondements et/ou de ses dogmes, elle ne retient des évolutions que ce qui rentre dans ses normes d’explication, dont elle fait des universalismes. Elle devient ainsi intolérante donc exclusive – ou excluante ; elle est déséquilibrée car elle méconnait la richesse de la diversité rééquilibrante humaine ; surtout elle est totalisante, elle aspire à « faire rentrer le tout dans sa norme ». Comme elle sait qu’elle ne peut, même de force, contrôler les consciences, elle ne cherche pas à intégrer les individus mais à encadrer la société c’est-à-dire à normer les lois sociales selon ses propres fondamentaux. L’Église catholique représente l’archétype de cette culture. C’est la raison pour laquelle il faut y être attentif. Il pourrait bien s’agir là, en effet, d’une résurgence de la tentation césaropapiste – en admettant que celle-ci ait un jour été oubliée. L’un des éléments qui doit interpeler est l’amalgame qui a été fait entre les mariages civil et religieux : il est révélateur car il démontre que, dans l’esprit des religieux, terme générique, seul le second est pris en considération ; que, par conséquent, c’est consciemment ou non, la laïcité de notre société qui est de nouveau interrogée. Il semble donc clair que l’Église dite romaine n’a pas encore surmonté le traumatisme et l’échec de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. Arrimée à ses traditions et à ses dogmes, elle se refuse par ailleurs absolument à regarder autour d’elle, à prendre acte des évolutions et à s’adapter. C’est la vanité, aux deux sens du terme, et la présomption de qui prétend détenir de manière définitive la Vérité. C’est pourquoi en elle se reconnaissent tous ceux qui veulent inscrire l’héritage chrétien dans la constitution européenne. Peu leur chaut que ce soit contre la majorité des Européens qui ont, à juste titre, d’autres préoccupations que celle-ci ; que cela aille à contre courant de l’objectif communautaire qui est de rassembler, non de diviser ; que, réussiraient-ils dans leur entreprise, cela ne changerait rien au destin de la catholicité. Est-il besoin, dès lors, d’ajouter que cette approche ne reflète que très partiellement la réalité de l’héritage culturel du vieux continent, héritage qui est constitué en un extraordinaire mélange des sources, de l’humanisme, des Lumières et des contre-Lumières, ces dernières ne se réclamant que rarement de l’orthodoxie catholique ; constitué enfin d’une multiplicité d’influences parmi lesquelles la culture arabe, arabo-persique même, joue un rôle rien moins que négligeable ?
On l’aura compris, le rejet qui s’exprime dans la rue n’est pas seulement celui de l’homosexualité. Le problème est bien plus vaste, et je n’ai fait que l’esquisser, mais il n’est ni anodin ni neutre que, dans ces conditions, la droite conservatrice se retrouve, quasi-unanime, derrière la prêtrise. Il y a quelque chose d’inquiétant et de moyenâgeux dans cette conviction religieuse exacerbée qui s’étale sur la place publique, quand la véritable foi est faite, ou devrait être faite, d’humilité et de discrétion. Mais elles ont toutes deux, droite et prêtrise, oublié depuis fort longtemps l’enseignement christique qui est désormais porté essentiellement par la culture de la compréhension ̶ laquelle au demeurant n’est pas forcément irréligieuse, ni même parfois a-religieuse.