Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 13:39

 

 IMAG0160

Lorsque j’ai débuté la réflexion que je vous propose, il y a de cela quelques semaines, je ne pensais pas qu’elle pourrait revêtir une telle acuité ! Elle part de la constatation suivante : notre pays traverse actuellement une phase de son histoire assez particulière et, à bien des égards, irrationnelle. Or, si l’on sait ce qu’est le sarkozysme, sauf à ne vouloir rien voir, ce qui est intéressant et important c’est de savoir comment il a été rendu possible et quelles en sont quelques unes de ses conséquences. C’est là que l’actualité m’a rattrapé et même dépassé. L’analyse que je développe ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité ni à la vérité – de cette dernière je me garderais bien ! Elle essaie simplement et modestement de rechercher et fournir quelques pistes. Elle se fonde sur le très remarquable travail du troisième tome de La naissance des démocraties de Marcel Gauchet, À l’épreuve des totalitarismes. Toutes les citations, sauf signalement inverse, sont donc de cet auteur. Néanmoins, il m’arrivera également de citer John Dewey et ce pour une raison très simple : cet éminent pragmatique américain ayant été utilisé par la droite sarregueminoise dans un « Reflets » passé, je regrette que, puisqu’elle semble l’avoir lu, elle n’en retienne pas mieux les leçons. C’est à se demander à quoi sert la culture si on ne s’en sert pas.

Le basculement qui a pu, à terme, conduire à l’avènement d’un mouvement tel que le sarkozysme, se produit selon moi, pour faire simple en espérant ne pas être simpliste, à la fin des années 60 et au début des années 70. En 1967, Daniel Bell (cité par Marcel Gauchet) donne une nouvelle définition de l’action publique : « chaque société », comprendre chaque nation, « est tenue de faire croître l’économie et, par conséquent, de planifier, d’orienter et de contrôler le changement social » (c’est moi qui souligne). Déjà, durant la même période, la justice sociale était devenue « une condition de la croissance » avec comme conséquence utilitariste et logique que « l’objectif de justice » se trouvait « déclassé par rapport à celui d’efficacité ». Mais avec cette redéfinition, c’est toute la philosophie de la construction sociétale de l’après-guerre qui est remise en cause. En effet, la préoccupation majeure de 1945 avait été de faire en sorte que les grandes crises économiques des années 20 et 30, qui avaient opportunément facilité la survenue du nazisme en Allemagne, ne puissent se reproduire. Il s’était donc agi « de remettre l’économie à sa place au sein du tout » :  il ne fallait plus qu’une « partie cruciale certes mais qui par sa nature » ne pouvait « constituer une fin en soi puisqu’elle est de l’ordre des moyens », que cette partie, l’économie, « dicte sa loi au tout ». Or,  conférer à l’État une obligation de croissance économique afin de diriger l’évolution sociale revenait inéluctablement à offrir à l’économie la possibilité de réinvestir le champ qui, par prudence et expérience, lui avait été retiré.

Sept ans plus tard, à l’occasion du choc pétrolier de 1974, le monde se trouve confronté à sa première grave crise économique de l’après-guerre. Cette crise marque la fin des Trente Glorieuses. À ce moment, « l’État organisateur », né des leçons de l’histoire, se retrouve en position d’accusé, pour cause de lourdeur et de lenteur, au regard de la vitesse des évolutions auxquelles il s’agit désormais de s’adapter. Résultat : alors que l’État d’avant-crise était encore « agence cognitive, politique, du changement social », il perd peu à peu ses prérogatives en la matière et « l’autorégulation (rentre) en grâce, comme la seule technique en mesure de répondre à cette accélération du devenir ». Dès lors le processus est enclenché : l’école de Chicago expérimente au Chili de Pinochet, installé avec l’aide précieuse de la CIA et des multinationales américaines ; Reagan et Thatcher dérégulent à tout va, deviennent les exemples à suivre malgré leurs échecs patents ; l’économique supplante le politique et, en son intérieur, s’opère un déplacement qui va s’avérer désastreux à plus d’un titre, de la production vers la finance. C’est désormais cette dernière qui dicte sa loi. Du coup, le travail qui était le principe fondateur de la production devient un moyen parmi d’autres de l’accroissement de la richesse de ceux qui détiennent le pouvoir financier. Ce retour au vieux clivage entre la capital et le travail, qui à mon sens n’a pas été assez souligné, n’est pas un retour à 1945 mais au XIXe siècle, quand le travail n’était pas en mesure d’assurer la socialisation de ceux qui n’ont que leurs bras à offrir. Terrible régression !

Le corollaire est l’affaiblissement du rôle de l’État, et partant de l’État lui-même, à l’inverse de ce que les constituants de 58 recherchaient. La structure étatique est attaquée de deux manières. Le législatif est éparpillé, divisé en autant de représentants que la nation se donne. Il se situe, dans la perception que nous en avons, un cran au-dessous de l’exécutif, plus facilement identifiable car plus compact. À l’inverse de l’exécutif dont la compacité est en outre proche de la représentation que se fait l’opinion de l’État, l’éparpillement et la division du législatif réduisent la puissance d’impact du groupe, sa force de détermination politique et de diction – dire et dicter. L’exécutif est ressenti comme un médiateur d’autant plus crédible qu’il a fini par peser fortement sur l’État, quand il n’en a pas investi les rouages. En comparaison de l’impuissance, largement démontrée par l’histoire, du législatif, l’exécutif fait figure de chaînon indispensable et insurpassable : il se confond avec l’État lui-même et, de ce fait, l’entraîne avec lui dans sa chute lorsqu’il entre en crise politique. Dans le même temps, l’exécutif diminue la capacité d’intervention et de projection, de gestion et de contrôle de l’État ; il limite, voire annihile, sa fonction de garant de l’égalité des citoyens. Cela s’opère de deux façons : il désigne le fonctionnaire comme nanti : il n’en fait pas seulement le bouc émissaire de ses propres incapacités mais, par là, il prépare simultanément l’opinion à une réduction du périmètre du service public ; il opère des coupes sombres et indifférenciées, aveugles en quelque sorte, dans les effectifs de la fonction publique, ce qui l’empêche de remplir sa mission tout en la livrant au mécontentement des citoyens. La manière dont cette politique est menée, ainsi que l’ignorance délibérée des contradictions qu’elle soulève, montre clairement son caractère exclusivement idéologique.

Parallèlement, en France, le pouvoir se présidentialise, c’est-à-dire se personnalise. Cette révolution répond au départ à une triple nécessité : remédier aux limites de la représentation ; adapter l’État à son rôle dans la conduite de l’économie et de la protection sociale, c’est-à-dire à la projection de plus en plus rapide de la société dans l’avenir ; améliorer la lisibilité de l’action politique pour « permettre aux citoyens de se reconnaître dans l’action du pouvoir qu’ils ont désigné » : le « principe de personnalité se révèle indispensable à la ressemblance du pouvoir et du peuple ». La conséquence immédiate est que le déplacement du « principat » du législatif vers l’exécutif et, spécialement, vers un seul homme, transfère aussi l’obligation de réussite vers cet homme, ce qui, en soi, recèle de redoutables dangers liés à la nature de l’individu comme terme générique. Autrement dit, se qui pouvait se relativiser, se disperser dans le groupe est ici concentré sur un seul. Une autre conséquence est que l’exécutif se voit concéder la primauté sur le législatif. La loi, ou « l’ordre selon la loi », qui fondait la norme républicaine, est supplantée par « l’organisation du changement », par une projection adaptative constante, soit une forme d’instabilité en quelque sorte institutionnalisée. L’on passe, selon la catégorisation de Bertrand de Jouvenel, de la « nomocratie » à la « télocratie ». Au surplus, ce qui est encore la concrétion de l’image, celle de l’homme seul comme référence de la collectivité, prend le pas sur l’abstraction de la loi, et incidemment du pouvoir, au nom du principe suivant lequel « la loi la plus générale a besoin d’une certaine dose de particularisation pour être appréhendée par les citoyens ». Où l’on voit les potentialités perverses que contient ce schéma.

Notre République a beau continuer à soutenir que « seule la règle élaborée en commun peut valablement commander », il n’en reste pas moins que la loi n’est plus première dans ce qui organise l’ordre de la cité ; et l’élaboration en commun vient de subir un sérieux accroc. Elle s’en retrouve d’une certaine manière dévalorisée : de fondement elle devient instrument, un des instruments parmi d’autres qui permettent d’organiser le changement par adaptation aux besoins. La loi perd sa « sacralité » et devient relative, ce qui est lourd non seulement des abus futurs, mais aussi de l’irresponsabilisation des hommes politiques : il y a, sous-jacente, la perte globale de l’exemplarité. Grande est par ailleurs la tentation de légiférer non plus pour le bien commun mais pour l’opinion commune qui adoube le président. Les lois d’opinion, ou d’opportunité, trouvent ici aussi leur origine. Elles conduisent tout droit au populisme qui, lui non plus, ne saurait constituer une politique.

La présidentialisation crée une image qui s’attache à celui que le suffrage universel a désigné. Mais le principe va se renverser. Sous la pression de la médiatisation des sociétés, au travers des modes traditionnels mais surtout des technologies nouvelles et en particulier de la télévision, l’image va finir par précéder l’homme politique : la forme s’impose au fond, l’apparence au contenu. L’enjeu n’est plus primordialement de proposer des solutions crédibles à l’organisation de l’avenir, et accessoirement aux problèmes d’actualité, ni de mettre en œuvre ses propositions si d’aventure l’on est élu, mais de savoir se présenter. La cravate et le verbe valent mieux que les modalités d’une réforme fiscale ! « La scène publique laisse la place à l’écran public » (Paul Virilio, Ce qui arrive) : la vie de la société se réduit à la dimension de l’écran, de l’image, d’où une limitation drastique de l’espace-temps public, qui génère elle-même une accélération mais aussi un rétrécissement de l’information, donc de l’évènement. On passe à autre chose et on oublie. Il faut par conséquent une répétition évènementielle, la répétition se substituant à l’importance intrinsèque, pour que le fait (re)prenne sa dimension. Nous sommes dans cette forme de société dont John Dewey prédisait la survenue, «  où le gouvernement serait assuré par ces promoteurs d’opinion professionnels qu’on appelle agents de publicité ». Tout cela ne va pas sans risques de graves malentendus.

Car si l’image prime, la marche des affaires n’en doit pas moins être assurée et les problèmes autant que faire se peut résolus. Cela signifie qu’en dépit de l’image les citoyens ont une attente : que ce qui les préoccupe trouve sa solution. Dans la gestion du courant, l’image résiste tant bien que mal. Mais si le courant résiste et que même la loi d’opinion s’avère impuissante ; si la projection adaptative ne projette plus ni n’adapte, alors qu’il ne reste plus qu’elle pour sauver la face ; si le mouvement et sa dynamique apparaissent comme dénués de sens car impuissants, alors ils se transforment en fuite en avant et deviennent inopportuns quoi qu’ils fassent. La cravate et le verbe finissent par se retourner contre leur détenteur qui, quoi qu’il dise, n’est plus crédible. Il l’est d’autant moins qu’il n’est plus capable, pour avoir trop joué avec les concepts, de distinguer le moral de l’immoral, l’acceptable et l’inacceptable, sans pour autant que la politique, la vraie, cesse d’être « immergée dans la morale » (John Dewey). Même le recours au bouc émissaire, traditionnel en l’occurrence, ne fonctionne plus. Pour avoir sacralisé le verbe, sa désacralisation n’en est que plus complète. L’image devient caricature et les citoyens ne se reconnaissent plus dans la personne qu’ils ont élue. La relation de confiance qui est au fondement du système est rompue  ̶  je pense définitivement en l’espèce.

Le problème, c’est que la caricature projetée par un homme se démultiplie sur l’ensemble de la classe politique, remarque étant faite quand même que la désaffection avait commencé avant 2007, à force de « plus c’est gros plus ça passe » ou de promesses qui « n’engagent que ceux qui les croient ». Aujourd’hui, au-delà de l’échec quasi-global d’une politique, l’action du pouvoir semble se résumer à l’effet d’annonce conjoint à une répétition mécanique de thèmes déjà marqués par l’erreur, à une impression d’instabilité, d’incapacité à persévérer, sauf dans l’erreur. L’action du politique ne se construit plus sur une promesse mais sur le mensonge, parfois la provocation, qui ont pris une dimension inégalée dans le discours politique ; se concentre, sur-médiatisation oblige, dans les compromissions, intérêts croisés, enrichissement personnel, proximité avec l’argent roi qui font apparaître les carambouilles du passé comme de l’amateurisme ou de l’artisanat. L’on est passé au stade de la professionnalisation : le phénomène dans son ampleur est récent, mais comme ses prémices sont anciennes, il rejaillit sur l’ensemble de la classe politique. L’on ne doit pas s’étonner, dans ces conditions, que les politiques soient devenus, dans l’esprit du commun, des politiciens « tous pourris » même si cela est très injuste et constitue une généralisation abusive : la « multitude », pour reprendre la catégorisation spinozienne, ne fait pas dans la demi-mesure car « il est conforme à la nature humaine de penser suivant les voies les plus simples » et « l’opinion populaire est peu troublée par des questions de cohérence logique » (John Dewey). Que dès lors et pour le moment Marine Le Pen caracole en tête des sondages n’est donc pas surprenant : l’opinion ayant peu de mémoire, elle a oublié les turpitudes de papa ; peu cohérente, elle n’assimile pas les frontistes aux « tous pourris ».

Lorsque le voile tombe et qu’il apparaît que l’apparence et la parole sont impuissantes, il n’y a que deux recours possibles : un parti traditionnel ou les extrêmes. Tant les uns que les autres participent aujourd’hui de la société de l’image : ce n’est donc pas ici que va se déterminer le choix. Celui-ci va dépendre de la « qualité de l’offre », telle du moins qu’elle est perçue par l’opinion – laquelle perception n’est pas forcément judicieuse mais là n’est pas le problème. Or tous les partis traditionnels apparaissent en situation d’échec, y compris ceux de gauche qui auraient pu constituer le recours logique face à la droite.

Il convient ici d’introduire une brève incise. Un parti est toujours usé par l’exercice du pouvoir, d’où la nécessité de l’alternance. C’est encore plus vrai aujourd’hui avec l’accélération prodigieuse du temps et de l’espace politiques, accélération dont il résulte que les réponses doivent être de plus en plus rapides tout en restant bien sûr adaptées. Elles se révèlent, par voie de conséquence, de plus en plus risquées, surtout lorsqu’elles sont idéologiques c’est-à-dire décalées par rapport au besoin réel. Il est curieux de constater que la gauche a effectué cette forme de révolution copernicienne, qui lui a été d’ailleurs fortement reprochée ; que la droite l’avait réalisée par la socialisation de son action  après la traumatisme de 39-45, mais qu’elle a fait un retour marqué à l’idéologie au début des années 2000 et, surtout, à partir de 2007. Le temps de l’alternance devait donc, en théorie, représenter pour le parti qui a cédé la place un moment de reconstruction et de reconstitution. Mais, dans une société de l’image, de la sur-médiatisation et de la vitesse, dans laquelle l’existence est conditionnée par la visualisation, ce moment primordial et indispensable de reconstruction apparaît comme un moment de vide. Il s’interprète comme une disparition. Plus grave : les tensions nécessaires et normales qui naissent de la reconstruction des idées – sauf à imaginer une humanité monolithique  ̶  sont perçues, parce que représentées comme telles, comme des divisions archaïques et, au final, comme des divisions d’hommes, c’est-à-dire portées par des conflits, intérêts et ambitions personnels. Ce qui, il faut bien le reconnaître, n’est pas toujours faux.

Dès lors ne restent que les extrêmes. L’extrémisme de gauche a disparu ou, plus précisément, pour ce qui en subsiste, il est divisé en groupuscules non représentatifs et incapables de se réunir : l’histoire lui a été fatale. N’est donc plus présent sur la scène politique que l’extrémisme de droite. Il est d’autant plus vigoureux qu’il a été crédibilisé, en France, par la droite traditionnelle. Celle-ci, en effet, a accaparé son discours. Elle a jugé que les raccourcis populistes, aisément compréhensibles par l’opinion, pouvaient tenir lieu de politique et lui assurer l’avenir. Mais, la preuve en est faite,  c’est insuffisant pour gouverner, ce qui, au demeurant, devrait être de nature à faire réfléchir le corps électoral. Lorsque les illusions se sont effondrées ; lorsqu’il est apparu que les slogans, eux non plus, ne pouvaient valoir une politique – il n’était nul besoin de tenter l’expérience pour le savoir, la droite a repris la logorrhée extrémiste avec d’autant plus de violence et de conviction qu’il s’agissait pour elle de masquer ses échecs, sa vacuité programmatique donc idéelle, ses propres divisions d’hommes et, peut-être aussi, de se cacher à elle-même ce qu’elle est devenue. Car dire, comme cela est souvent répété à propos de la récupération des thèmes extrémistes, que l’électorat « préfère l’original à la copie » constitue une erreur d’analyse. Si tel était le cas, la droite aurait raté sa cible dès 2007, ce qui ne fut pas. En réalité l’électorat se tourne vers l’extrême droite parce que la droite est ressentie comme étant en situation d’échec et, surtout, d’incapacité. Comme, dans le même temps, elle a légitimé les thèses extrémistes en se les appropriant, une partie non négligeable de son propre électorat est elle-même passée à l’extrémisme, de même que les réactions de certains cadres montre que très peu les sépare de l’extrême droite – ce qui, pour nombre d’entre eux, ne serait jamais qu’un retour à la source ! La droite a dédiabolisé l’extrême droite. D’où l’extraordinaire responsabilité qui est la sienne et que, bien entendu, elle se refuse à reconnaître : si elle a pratiqué un exorcisme sur l’extrême droite, elle n’a pas exorcisé ses propres démons ! Cela n’est peut-être pas non plus un hasard.

Dans l’image, l’apparence emporte la conviction – ce qui est encore une dégradation du politique. Mais, dans ce processus, la conviction perd sa réalité, elle passe sur un autre plan : elle devient abstraite, comme devient abstrait tout ce qui se rattache à l’image en tant que façonnante, structurante, jusqu’à ce que cette dernière soit elle-même « pure représentation », c’est-à-dire rien d’autre qu’elle-même, faisant sens en elle-même. Du coup, elle génère l’irresponsabilité de celui qu’elle porte : la personne et sa personnalité se perdent dans l’image, il y a identification subjective de la personne à l’image, laquelle, par définition, est  irresponsable. Le phénomène dure jusqu’à ce que la réalité rattrape la représentation, ce qui est en train de se produire, au détriment du représenté pour la même raison que ci-dessus (l’original et la copie). Irresponsabilité d’un côté mais également, de l’autre, suppression de l’intermédiation. Celle-ci est le fait de l’extrême droite : l’image impose directement sa forme à l’opinion et les médiateurs habituels – les représentants  ̶  de notre système démocratique sont réduits au silence. Ils deviennent inexistants et ils n’ont même pas besoin d’être connus, encore moins reconnus : l’image seule compte et les représente. Les intermédiaires sont dépersonnalisés. « Quand le public est aussi incertain et obscur qu’il l’est aujourd’hui, et aussi éloigné du gouvernement, les chefs de parti remplissent le vide entre le gouvernement et le public ». Ce jugement ô combien prémonitoire, prononcé par John Dewey à la fin des années 20, devrait nous rappeler certaines « péripéties » de notre histoire passée, lorsque le lien direct, l’osmose entre le chef et le peuple furent un temps proclamés. Ce qui était aussi une illusion.

L’ultime question qu’il faut se poser est la suivante : l’advenue de la caricature était-elle inéluctable ? La réponse est clairement négative. Ce sont les hommes qui font l’histoire : elle ne saurait être déterminée, aucun principe essentiel de causalité ne saurait lui être attaché. La possibilité de la caricature est inscrite dans la constitution de 58, ainsi que dans la pratique qui en est résulté d’emblée du fait de la personnalité, et sans doute de la volonté politique, du premier président de la Ve République. Néanmoins, ni lui ni les rédacteurs du texte ne pouvaient  savoir, ni imaginer, que les évolutions des technologies de communication conduiraient à une telle hypertrophie de l’image au détriment, en dernière analyse, de la personne présidentielle. Il n’en reste pas moins que ce que nous vivons actuellement constitue une forme d’aboutissement : elle n’a donc été rendue possible que par la rencontre de deux lignes insérées profondément dans leur époque, celle de la multitude – terme très insatisfaisant mais que j’utilise par facilité de langage  ̶  et celle d’un homme. La coïncidence étant opérée, rien n’était encore joué car dans les deux cas, « le problème » pour le public comme pour l’homme, « dépend de l’intelligence et de l’éducation » et, par conséquent, « le gouvernement populaire », c’est-à-dire démocratique, « est éducatif » (John Dewey). Un public et un homme intelligents et éduqués auraient résisté à la dérive. Mais l’éducation a été sacrifiée par l’époque – il ne s’agit pas seulement là du problème de l’éducation nationale  ̶  et par l’homme de l’époque. Plus précisément, elle est devenue l’éducation d’une époque, d’où il résulte que l’intelligence, au sens de compréhension, est aussi celle de son époque. De ce point de vue, l’advenue du sarkozysme, ou de quelque autre mouvement similaire, était déterminée.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Articles Récents

  • la lettre du secrétaire #136:"une élection mal comprise"
    Au Sommaire: une élection mal comprise d'où vient le blé ? Le regard de Sébastien Lefort: "Campagne et moyens" qu'en pensez vous ?: "la réforme du statut des stagiaires" EDITO : "j'ai de la chance moi...." Rue Briques et Pavés: primaires à droite au Pays...
  • le lettre du secrétaire #135: "je reste, je suis socialiste"
    Au Sommaire: " je reste, je suis socialiste"- carte blanche à Gérard Filoche "Valls à gauche ?" La démo de cousin Hub: par Hubert Fuss "matraquage fiscal ? vraiment ? qu'en pensez vous ?: la réforme territoriale ? EDITO : "En plein marasme, Lefort en...
  • la lettre du secrétaire #134:"...et le cul de la fermière ?"
    Au Sommaire: " Inciter à quoi ?" "...et le cul de la fermière ?" "Le coup de fil de Gérard à Céleste" - par Sébastien Lefort D'Bitscher chr o nique, par Sébastien Lefort Jaurès: 100 ans ! EDITO : "une idée intéressante" Rue Briques et Pavés: Lisez et...
  • Les mandatures se suivent … et se ressemblent !
    un stade d'entrainement ? de 1,5 à 2,5 millions d'€uros Il y a quelques jours de cela, et même un peu plus, le Républicain Lorrain avisait la population, quoique sans roulement de tambour, de l’état d’avancement du futur nouveau stade des Faïenceries....
  • la lettre du secrétaire #133:"le colibri et l'ignorant"
    Au Sommaire: " y a-t-il un pilote dans la salle ?" "le colibri et l'ignorant" "Le coup de fil de Gérard à Céleste" - par Sébastien Lefort D'Bitscher chr o nique, par Sébastien Lefort alerte enlèvement EDITO : "y a aussi un Bitscherland là-bas ?" Rue Briques...
  • la lettre du secrétaire #132:"D'ici et d'ailleurs"
    Au Sommaire: " D'ici et d'ailleurs" "Harmoniser par le haut" "Le coup de fil de Gérard à Céleste" - par Sébastien Lefort D'Bitscher chr o nique, par Sébastien Lefort EDITO : "le changement, c'est bientôt" Rue Briques et Pavés: Lisez et faites lire le...
  • Rendons à l’histoire ce qui lui appartient
    un Rentenmark egale 1.000 milliards de marks. Cela nous est répété à satiété : toute la politique économique allemande, et les blocages qui en résultent, nous viennent de la monstrueuse inflation qui, en 1923, met l’Allemagne à genoux. L’on peut comprendre...
  • la lettre du secrétaire #131:"sur la ligne...Céleste"
    Au Sommaire: " le changement, c'est...Giscard !" "sur la ligne...Céleste" "Le coup de fil de Gérard à Céleste" - par Sébastien Lefort D'Bitscher chr o nique, par Sébastien Lefort EDITO : "et si on changeait ?" "Faut-il fermer Fessenheim ? OUI !" Rue Briques...
  • non à l'instrumentalisation des enfants !
    honte aux parents qui mettent des pancartes dans les mains de leurs enfants ! et à tous ceux qui les instrumentalisent
  • problemes de Sarreguemines, la lettre ouverte d'un citoyen en colère
    Stationnement et circulation, civilité et code de bonne conduite ! Lors de sa dernière réunion de campagne, Casino des Faïenceries, pour l'élection municipale du maire de la ville et son Conseil, Céleste LETT, réélu, nous disait qu'il était plutôt traditionnel...